Par quoi commencer cette année 2022 ? Les épreuves fleurissent aussi vite que l’acné juvénile à l’époque de mon adolescence, toujours plus nombreuses. Après déjà (ou seulement) 5 années de pratique longue distance, le défi physique (Distance, dénivelé) n’est plus l’élément moteur. Me concernant, la dimension du voyage et les paysages traversés sont les éléments déclencheurs.
Depuis la fin de l’automne – le début de l’hiver, un nom revient régulièrement dans ce petit monde en expansion : la Desertus Bikus. Cette appellation un tantinet naïve est une bonne accroche. Derrière celle-ci, il y a un projet : traverser les 4 déserts espagnols. 1250 kilomètres et 12500 mètres de dénivelé : c’est raisonnable pour une entame de saison.
Mais qu’est-ce qu’un désert ?
Définition du Larousse : Région du globe caractérisée par une pluviométrie inférieure à 200 et souvent même à 100 mm par an et où la densité de population est très faible en raison des conditions du climat (aridité, froid).
Début décembre, les inscriptions sont ouvertes. Très vite elles s’enchainent. Apparemment, je ne suis pas le seul intéressé. La communication sur Facebook est efficace, chaque nouvel inscrit est présenté de façon originale.
Yvan, la personne à l’origine de ce projet, distille les publications au fil de l’hiver, sans temps morts. La liste des inscrits s’allonge et croit même brutalement à partir de la mi-janvier. Dans cette liste se sont glissés pas mal de coureurs au palmarès déjà bien rempli. Ça promet une belle bagarre devant, certainement une victoire en moins de trois jours.
Je franchis le pas le 19 janvier avec la possibilité de pouvoir reporter mon inscription à l’année suivante, si je ne suis pas disponible.
L’hiver se passe à rouler à l’intérieur principalement : 3 sorties en HT et une longue à l’extérieur. C’est la première fois que je ne peux plus rouler en extérieur et je redoute le résultat en épreuve ultra.
Ultimes préparatifs
Jeudi 21 avril, je suis en voiture en direction du Tarn avec le vélo et les affaires en vrac dans le coffre. La veille, je laissais derrière moi les Lions de la place Daumesnil pour une dizaine de jours. Je suis coincé dans un bouchon entre Limoges et Brive lorsque qu’un bip retenti sur le téléphone. C’est Laurent Boursette, qui m’avertit qu’un mouvement social affecte le personnel naviguant de la SNCF sur la ligne de train entre Toulouse et Bayonne. En conséquence, il rallie Anglet en voiture de Grenoble. Je n’ai pas encore réservé de billet de train, car je suis susceptible de partir avec Jean-Philippe Vidal de Toulouse. Je devais faire un choix en fonction de mon avancée dans la préparation du vélo. Désormais, je n’ai plus le choix.
En fin d’après-midi, appel de Jean-Philippe alors que je suis toujours en pleine préparation. Il récupère Damien, un autre participant, en galère de train lui aussi. Laurent me propose gentiment de passer par le Tarn pour me prendre.
Jeudi soir 20h00 : hormis ma nouvelle sacoche Tailfin que je viens de recevoir, je suis prêt. Impossible de mettre en place l’axe traversant du support de ladite sacoche. J’ai aussi l’option de la fixer directement sur les œillets du hauban, mais je ne préfère pas. Tant pis je partirai avec ma fidèle Ortlieb (Heureusement que je l’ai prise !).
Nuit de jeudi à vendredi : 3h41, j’ai les yeux grands ouverts. Je viens de comprendre pourquoi je n’ai pas réussi à installer l’axe traversant. Je bouquine un peu, me rendort et à 07h00 je me remets à l’installation de la Tailfin.
10h00 à peine, Laurent débarque alors que je suis en train de tondre. Le temps de me changer et nous mettons le cap sur le Pays Basque. C’est parti, je commence tout juste à lâcher prise par rapport au quotidien.
Pendant les 3 heures de route nous échangeons sur l’évolution de notre sport depuis 2-3 ans : la multiplication des épreuves, la moyenne d’âge des concurrents en très forte baisse, l’usure mentale que nous ressentons de plus en plus course après course, etc.
Le trajet passe très vite. Nous rejoignons le QG de départ et après avoir procédé à notre enregistrement et récupéré notre balise, nous filons rejoindre Jean-Philippe déjà attablé devant sa première chopine de bière en compagnie de Damien. Nous déjeunons et partageons au sujet de nos choix respectifs d’itinéraires.
Jean-Philippe a bien étudié son parcours en procédant à des vérifications sur Google Map et Street View. Laurent a essayé de rationaliser en privilégiant le ratio distance par rapport au dénivelé en empruntant des axes roulants.
Pour ma part, j’ai croisé les différentes traces proposées par Komoot en fonction du type de vélo renseigné. Je pars sur un choix de parcours donnant la part belle au tourisme, et ayant au programme des tronçons de plusieurs dizaines de kilomètres de pistes. Après le déjeuner, nous investissons nos chambres d’hôtel afin d’essayer de grapiller quelques heures de repos avant le départ donné à minuit et une minute. Je n’ai pas vraiment dormi, mais ça m’a fait du bien. Ces moments de calme marquent une réelle rupture avec ces dernières 36 heures, qui se sont déroulées dans une certaine précipitation pour mes préparatifs.
Nous rejoignons l’aire de départ à 22 heures à la demande d’Yvan. Ça grouille de monde entre les coureurs et les accompagnateurs. Comme à l’accoutumée, chacun scrute le vélo de l’autre, essayant de se rassurer sur ses propres choix ou au contraire de ne pas paniquer lorsque l’on découvre certaines montures harnachées vraiment légèrement, voire guère plus que pour un BRM 200.
C’est aussi l’occasion de revoir certaines personnes ou d’en rencontrer d’autres physiquement. Il se dégage une atmosphère qui me rappelle la BTR 2017. En effet, il y a une proportion importante de participants pour laquelle c’est la première expérience en cyclisme longue distance.
Un sujet revient de plus en plus dans les conversations : la météo. Pour le moment, c’est plutôt une soirée aux températures agréables. Mais la pluie semble nous attendre au coin du bois dès les premières heures de course. Trop tard pour revoir le paquetage : les dés sont jetés.
L’ambiance est bon enfant. Devant le bâtiment qui nous accueille un brasero a été allumé, plusieurs banquettes sont disposées autour de celui-ci. Pour certains la bière coule à flots, certaines cigarettes font même sourire : no stress.
Cyrille alias Moh Risse fut le premier à s’inscrire sur cette Desertus. Je l’avais rencontré il y a une petite année sur le Roots Bikepacking. Il a eu un terrible accident de vélo à l’automne et ne pourra pas prendre le départ, car toujours en convalescence. Il est tout de même présent pour humer l’atmosphère et revoir certaines têtes.
Que l’aventure commence !
Dans tout ce brouhaha, j’ai perdu de vue Laurent et Jean-Philippe. L’heure du départ approche, je récupère mon vélo, mets mon casque, enfile mes chaussures et charge ma première trace. Le départ est donné. Après 2 intersections, je me retrouve quasiment seul. Le gros de la troupe a opté pour un autre choix d’itinéraire.
Je ne tarde pas à rejoindre la piste cyclable qui longe la Nive. Je double 2-3 concurrents, je suis tranquille. Beaucoup plus agréable pour s’extirper de l’agglomération que le centre-ville. A Ustaritz, je quitte ces rives. Je continue mon approche du massif pyrénéen, laisse Espelette sur ma gauche et traverse plusieurs villages à l’orthographe spéciale gros score au scrabble. La frontière est assez vite franchie, moins de deux heures après notre départ. Nous longeons la Nivelle, qui dégringole des reliefs que nous devinons sous nos pédales. Mais le feu d’artifice propre au Pays Basque a déjà commencé il y a une heure avec plusieurs pétards aux pourcentages assassins, dont ce pays a le secret.
Le ciel est maintenant bien menaçant, il tombe quelques gouttes ici et là. Je continue de remonter pas mal de lucioles, preuve que mon tracé n’était pas le plus optimisé. Peu importe, la route est encore longue jusqu’à Nerja.
A la bascule de la première véritable ascension, la pluie s’installe doucettement. Les jambes sont plutôt bonnes et je tape un peu trop dedans. Ce n’est pas normal, que je double autant alors que la route s’élève…
Au pied du deuxième col, la pluie est maintenant bien présente. J’enfile ma veste avant d’être complètement mouillé sans enclencher la fermeture éclair. Je rattrape Mathieu Lifschitz, très reconnaissable avec sa bagagerie orange. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à la BTR 2020, en pleine nuit à l’approche du Massif Central. Nous avions alors improvisé une pause casse-croute aux abords d’un cimetière en compagnie de Marguerite.
2-3 kilomètres avant le sommet, je remonte ma fermeture éclair car il pleut vraiment dru. J’ai le moral en berne, la pluie est vraiment froide. Nous ne sommes qu’à la fin du mois d’avril, et à près de 1000 mètres d’altitude et ben…il ne fait pas chaud ma bonne dame.
Au sommet, notre petite armée est en pleine déroute. Plusieurs compagnons d’infortune se sont arrêtés pour se couvrir. Me concernant, il n’y a pas de risque : je n’ai pas emmené grand-chose. Je bascule dans la descente sans demander mon reste. Vite descendre pour gagner en température, car il ne doit pas faire plus de 3 degrés. En l’espace d’une heure, je suis passé d’un état proche de l’euphorie à Waterloo morne plaine. Je grelotte sous une pluie qui semble bien décidée à ne pas baisser en intensité. C’est mal embarqué cette affaire…
Après quelques kilomètres de descente, j’aperçois plusieurs gars sous un carport. Je m’arrête sans pouvoir maitriser mes tremblements, attrape la malheureuse paire de gants longs de VTT que j’ai emmenée et mon sous casque. J’avale un morceau de pain avec du fromage et détale suivi par 2 autres cloportes. Nous perdons toujours de l’altitude, mais nous devons quand même pédaler. Le vent est défavorable, je m’accroche aux roues de mes compagnons de galère.
A l’approche de Pampelune, la pluie cesse les hostilités. Pfouu, ça va très vite mieux. En 100 bornes à peine, nous sommes rentrés dans le vif du sujet. Terminée la belle assurance des vieux briscards au long cours affichée au départ, il est rincé le matador des longues distances.
Vent debout, nous contournons Pampelune par une sorte de périphérique. Heureusement, que nous passons de très bonne heure : pas de circulation. Mes 2 compagnons scrutent les alentours, à l’affut d’une possibilité de café. Pampelune n’évoque rien pour moi hormis un roman d’Ernest Hemingway : le soleil se lève aussi.
Alors que nous nous arrachons de cet ensemble urbain, ils s’accordent une pause-café. Je continue car je veux bien sécher et ne pas me refroidir. Ça souffle toujours pleine poire. Je me cramponne à mon cintre et chemine laborieusement. Envolées ces belles sensations des premières heures ! Je guette Tarfala, en effet ma première idée était d’aborder directement le CP 1 par le Nord en empruntant pas mal de kilomètres de pistes. La pluie a vite eu raison de mon âme vagabonde. Back to the road, une valeur sûre…
A la sortie de Tarfala, je charge la trace option pluie. Ce n’est vraiment pas trippant : de longues lignes droites avec de longues montées suivies de longues descentes. Il me tarde de découvrir ce désert des Bardenas qui abrite le CP1. La pluie reprend : ras le bol, je serre les dents et continue. Vers 8h00, je m’arrête quelques minutes pour manger sur mes provisions embarquées. Je consulte rapidement le tracking de la course et me rends compte que je navigue vers la 20-ème place. Je scrute plus attentivement la tête de la course : tous les favoris sont là hormis Laurent. Je suis surpris et cherche son dossard. Je le trouve assez loin derrière. Que s’est-il passé ? Bizarre…
Je repars et ne tarde pas à enfin entrer dans les Bardenas. Pas facile cette approche du CP1 : le vent est toujours de la partie et nous empruntons un long tobogan pour rejoindre la piste finale. Ça cogne un peu, mais avec ma nouvelle monture Gravel chaussée en 28, ça me change de mon habituel Tarmac en 23.
Au loin j’aperçois cette concrétion calcaire emblème de ce désert. Pas mécontent d’être arrivé. Surprise, Yvan notre GO est là pour nous accueillir en compagnie d’un cameraman. I feel like a champ ! Yvan me glisse même que je suis 9-ème. Comment est-ce possible : je n’ai doublé personne depuis mon petit check il y a un peu plus d’une heure. Et bien pour une fois, ce sont les autres qui ont été se mettre dans une bonne galère : l’option Nord et ses pistes pour accéder au CP1. Nathalie Baillon ne tarde pas à débarquer crottée de la tête aux pieds. Le vélo est bon pour une petite séance de karcher.
Après quelques mots échangés avec Yvan et une petite collation, je repars. Il ne fait vraiment pas chaud et les prévisions pour les 20 prochaines heures ne sont guère pas encourageantes. Vent défavorable, froid et averses. Déjà 200 bornes effacées depuis le départ. Il en reste 240 pour atteindre le CP2. Ça me semble jouable pour une arrivée entre 22 heures et minuit.