Un Paris Brest Paris

Voilà… je suis bientôt à partir sur les routes vers Rambouillet. Demain je rejoins Patrice pas très loin de là. Beaucoup d’émotions dans ces préparatifs, des questions et des inquiétudes aussi.

Je me rends compte avec l’expérience que je saisis davantage les difficultés d’un tel voyage. Je prépare mon barda avec plus de sérieux et sans doute un peu mieux. Il devrait faire beau, un temps de folie pour ces quatre jours, de la chaleur raisonnable et point de pluie.

J’ai pensé à tous les désagréments et j’ai aménagé afin de passer à travers ces maux des ultra cyclistes. On verra mais cette préparation me rassure. Ne pas avoir froid, pouvoir dormir au chaud sans dépendre du reste et éviter le plus possible mes problèmes de selle.

La magie et l’effervescence autour de cet événement rendent les choses d’autant plus émouvantes, c’est une organisation assez dingue, une fête tous les quatre ans. Des participants nombreux et du public. Il faut voir ça !!!

Des vélos dans l’effort aussi, de la joie et de la douleur dans la plupart des cas du dépassement de soi pour une randonnée de quelques 1200 km. Rejoindre Brest de Paris et Paris de Brest, mais quelle idée saugrenue !!!

J’ai promis de laisser une trace écrite de cette gentille aventure. Écrire je crois que c’est éclaircir les évènements, leur donner du poids, une dose de force. La relecture est belle et le plongeon intact.

On est le jour d’après le PBP, le jour où l’on écarte ses méninges, où le coeur reprend son rythme habituel, on est le jour où les doigts de pieds effleurent de nouveau le sol, où l’apesanteur s’estompe la terre ferme vous à rejoint.

Le PBP, mais qu’est ce que c’est que ce truc ?

Violence de la longueur, de cette contrainte de temps, violence de la fatigue et de la douleur, violence de l’entrevue de l’abattement chez les autres. Des guirlandes, des applaudissements, de la sollicitude, des chants, de la joie, de l’accueil.

Des nuits et des errances, des jours et des errances. Des visages tournés vers l’intérieur, des jambes repoussant l’impossible envie d’arrêter, des bras en croix pour reprendre vie, des écarquillements de corps posés, déposés et faisant décor sur les bords des routes.

Des bolides plus rapides que la randonnée, des chargements pour une vie entière et de la bicyclette de combat, des grands corps robustes et sportifs traçant la route, des engins de noël, des engins d’un temps du jamais encore vu. La couleur et la beauté dans cette espace de randonnée hors de l’habituel.

J’ai vu de tout réuni sous la bannière du vélo randonnant. J’ai vu mille nationalités, j’ai vu du voyageur solitaire et de l’équipe, j’ai vu de l’ancien et du juste pubert, j’ai vu des élégants et du vieux routard dégingandé, des fées clochettes et des moines tibétains, j’ai vu beaucoup de non bavards et quelques uns pour qui le bruit de la forêt la nuit n’était rien, j’ai vu du pédalage aisé, du pédalage tordu, du pédalage testosteronné, du pédalage mort, du léger, du bien là qui tourne rond…

J’ai perçu un grand monde à lui tout seul, un grand monde perché sur son vélo, une troupe enfermée dans la bulle de ce PBP, des errants pour qui la porte s’était refermée aller jusqu’au bout…

L’image de ces nuits où aucune parole ne sortait plus d’aucun corps, où l’essentiel de la vie était contenue dans la pédale aller plus loin et pédaler, pédaler encore et encore. J’ai l’image de ces routes peintes en jaune, ces traits fluorescents traçant la voie jusqu’au but ultime dans le silence de la nuit dans le silence de l’esprit.

Puis, au bord de cette ribambelle de vélos, des gens, là, pour s’offrir le partage en échange d’un verre d’eau, de bananes et de crêpes et des fois juste pour voir et encourager des vieux qui ont du voir passer dix PBP, des gamins sur les murettes tapant des deux mains…des sonnettes et des trompettes du musical.

On s’arrête pas tant que l’on voudrait car le temps est compté…

C’est la fête mais pas toujours à bord du bateau PBP. Il faut du sérieux, du calcul. Le faire en 90h, tout caser. Alors on roule et on zappe les alentours, essentiellement concentré sur soi, ses besoins, ses bobos, on s’écoute, on est attentif aux signes physiques qui pourraient nous faire perdre. J’ai été dans cet état d’esprit, surtout au début ne sachant pas dans quoi j’étais tombée peur d’échouer, pas de plan de bataille, juste ma tête et mon vélo.

Je suis donc partie il était 17h45 dans le groupe de Gérard avec qui j’avais déjà roulé sur le mille en Mayenne. Je savais que Gérard était quelqu’un avec qui a priori je pouvais aller, un rythme sensiblement le même et un état d’esprit qui pouvait me convenir, le genre de type à se dépasser quand il le fallait, pas trop bavard et courageux. Il en avait bavé lors du 1000 et ne s’était pas plaint.

Très vite donc nous formons un duo, sans se le dire expressément. Je ne m’engage pas dans une obligation quelconque pour autant. Chacun fera sa route le moment voulu. Je pars sans plan, je me dis que je vais rouler et essayer de le faire bien afin de cumuler des points de sommeil.

Très vite la nuit tombe sur la route. Les CP s’enchaînent aimablement dans la très grande douceur de la forme physique et mentale d’un début de course. Nous savons que la première nuit se fera sur le vélo quelque chose de déjà testé.

Le PBP ne nous touche vraiment que quand les difficultés commencent. Le petit rythme qui est le nôtre, nous roulons à 23 de moyenne environ, nous fait atteindre Fougère en début de matinée.

Gérard pédale plus vite à l’approche du point de ralliement où son staff l’attend. Un arrêt au bord de la route ou nous allons y passer du temps. Premiers questionnements sur la gestion du temps.

Nous repartons…

Je laisse Gérard reprendre de l’énergie sur le point d’accueil suivant, Quedillac je crois. Il a besoin de dormir, moi, je suis ma route jusqu’à Loudéac. J’attends Gérard, je repars sans lui (j’ai besoin d’être seule). Direction Carhaix qui est le point où nous avions décidé de dormir (km 525). Je ne pense pas l’atteindre, 80 km a rouler et j’en ai assez.

Je pose mes affaires sur une pelouse offerte par un applaudissant de bord de route. J’ai le droit à une couette et un oreiller supplémentaire. Je me couche au chaud impossible de dormir, la tension de quelques chose qui ne colle pas me fait penser à gogo. Je repars plus tôt que prévu. J’atteins Carhaix, je mange un bout, et me pose un peu…ne trouvant pas Gérard je quitte Carhaix pour Brest.

N’ayant pas dormi je comprends assez rapidement qu’il me faudra me poser. Les monts d’Arrée pas si durs, pas si froids. La fatigue me conseille d’arrêter un instant. 45 min dans mon bivy et je suis de nouveau calée sur mes pédales. Un petit nouveau souffle me fait aller au rythme bien sonné du PBP.

Du régulier et souple pédalage pour une longue durée !

Cette première nuit seule me fait tendre les yeux sur le début de la fatigue de mes partenaires de route. Ce silence et ces vélos déposés en vrac le long de la route comme des épaves. Le PBP commence vraiment là. J’ai l’impression d’être dans un monde parallèle où n’existent plus que des roulants et dormants, muets. Bruit de roues juste modestes petits points dans la nuit noire et pourtant si lumineux.

Le PBP c’est ça aussi. Une absence et une présence des autres tout à la fois, une connivence dans l’effort et la difficulté, c’est sans parole mais c’est là dans cet air que l’on respire, le même chargé de mille choses différentes et identiques à la fois. Nous formons une grande chaîne de fous !

Brest. Son arrivée lointaine dans ce début de jour qui affleure me fait monter les larmes. C’est beau à l’intérieur cette lumière qui te souhaite le bonjour.

Ça grimpe dans la grisaille. Nous faisons les derniers km et atteignons le CP de Brest. Assez morne arrivée. J’étais prévenue, Brest n’est pas a la hauteur de ce PBP.

Nous avons une dizaine d’heures d’avance. Je sais que cela va être juste. Il faut un plan maintenant pour avancer et être dans les délais. Moins d’arrêts et des arrêts plus courts. Je reprends confiance. Je confie à Gérard la façon dont il nous faut aller. Il semble ok. Je fixe des étapes et des durées, il faudra nous y tenir. La route du retour s’entame dans la bonne humeur d’une sérénité retrouvée.

Nous roulons, attendus et ravitaillés par Laurence et Serge, sans attardements inutiles, ça avance.

Nous posons nos sacs a Loudéac pour une nuit en dordoir. 3h30 de dodo. Le sommeil est au rdv car plus de stress. Quel bien-être ce lit de camp et même ces ronflements berçants !!

Nous repartons vers 3h du mat, requinqués. Il nous reste 450 km à faire. Nous n’aurons plus le temps de dormir réellement, juste des pauses. Nous poursuivons. Pédaler, manger, boire, un peu de bivy pour reprendre de l’énergie.

Gérard est fatigué pourtant il faut y aller. Le terrain devient plus facile et c’est un soulagement. Je me mets en tête et roule à son rythme. Difficile pour moi de madapter, pour autant il le faut. Je ne peux plus lâcher Gérard. Nous irons jusqu’au bout ensemble. Il va s’accrocher je le sais.

Finalement je lui laisse la place d’imprimer le rythme. Derrière moi il semblait ne pas avoir la force nécessaire. Et là ça roule de nouveau. Je me détends davantage.

La forêt, des tunnels, des murs ou des falaises je ne sais pas trop. Une danseuse devant moi, immense sur son vélo, son tutu volant dans la vitesse de la nuit. Premières hallucinations. Je me fous des baffes et fait marcher ma vigilance autant que je le peux.

Mortagne. Nous nous couchons 45 min. Les batteries se rechargent suffisamment pour repartir et franchir les 130 petits derniers km, l’équivalent d’une sortie dominicale. Nous sommes sortis des encombrements, se profile la réussite de cette longue randonnée.

Voilà, nous touchons au but. Le corps là et s’il est fatigué il n’en touche pas un mot. Les muscles agissent, le cerveau dirige toujours. L’envie pousse, juste les fesses qui freineraient l’allure. Se caler sur la selle et pédaler dans ce temps parfait, sur cette route toute lisse, dans ces bois de Rambouillet ombragés et accueillants.. Rouler jusqu’au bout pour une fois pas interminable, rouler et verser plusieurs larmes d’émotion d’avoir réussi ça, cette chose qu’est le Paris Brest Paris.

Franchissement de ligne et de soi. Je suis heureuse. Je baisse la garde. Mon corps s’effondre. Jambes en vrac et besoin irrépressible de dormir. Peut-être 6h de sommeil sur ces 4 jours. Je n’en reviens toujours pas de cette capacité à la résistance. Boostés par les endorphines nos corps sont magiques.

Le PBP devait être facile après le 1000 de la Mayenne. Ce ne fut pas tout à fait le cas. La gestion du temps fut assez compliquée. Un corps bien présent à cette épreuve, une alimentation entretenue tout le long et ce fut du bonheur de ce côté là. La forme jamais démentie.

C’est fini alors ? Oui un peu, ou pas tant que ça.. Davantage de confiance en soi pour de nouvelles virées engageantes, libres, solitaires ou peuplées.